- HISTOIRE - La conception marxiste
- HISTOIRE - La conception marxisteSi l’histoire était une science, une «histoire» marxiste pourrait-elle avoir plus de sens qu’une «biologie marxiste»? L’affirmer ne conduirait-il pas à soutenir par un biais la théorie des deux sciences, la «science bourgeoise» et la «science prolétarienne»? Or, les marxistes, dans l’esprit même de la polémique conduite par Lénine contre le proletkult dans les années vingt, n’ont-ils pas condamné cette théorie des deux sciences formulée dans les années cinquante?En pratique, néanmoins, la chose est plus complexe. L’histoire comme toutes les disciplines qui prétendent au statut de sciences positives mais dont l’objet touche à l’homme, à la société, à l’économie ou à l’État, et qui sont loin encore d’être des sciences constituées et adultes, baigne dans l’idéologie. Loin d’être exempte des distorsions de nature idéologique, la connaissance historique les inclut en fait. En outre, quand on l’observe dans la longue pratique des historiens, depuis Montesquieu ou Edward Gibbon, la genèse de l’histoire montre assez que l’objectivité du savoir historique se prépare au sein de l’idéologie selon une démarche de rupture, inlassablement recommencée, avec l’idéologie elle-même.Cette démarche de rupture n’est cependant pas assimilable à une pratique de nature purement théorique ou conceptuelle. Très souvent, il arrive que le rationnel ne se puisse distinguer du formel et de l’idéologique, par absence de certains critères qui permettent de choisir la solution juste (scientifique-objective) et de rejeter la solution erronée (spéculative-idéologique); le léninisme affirme le primat du critère de la pratique – pratique sociale, pratique scientifique, pratique politique – comme critère ultime de la connaissance vraie, car il est «assez vague pour ne pas permettre aux connaissances de l’homme de se changer en «absolu» [...] assez déterminé pour permettre une lutte implacable contre toutes les variétés de l’idéalisme et de l’agnosticisme» (Lénine).C’est aussi par là que l’histoire comme science affirme son intériorité au monde du savoir et à celui de l’histoire vécue, y compris quand elle révèle les moyens de dominer le monde et son histoire.Histoire, idéologie et marxismeHistoire et idéologieDans le langage marxiste, l’idéologie est conçue comme l’ensemble des idées, spontanées ou élaborées en systèmes, qui expriment les rapports des hommes entre eux et avec leur milieu. Pour les marxistes, elle est donc soumise à l’histoire qui se fait et elle intervient, au travers de multiples médiations, tout au long du processus d’élaboration de la connaissance historique, de la quête des documents à la rédaction du texte. Cela ne conduit pas nécessairement à dénier à l’histoire, comme l’ont écrit A. Aaron ou H. I. Marrou après d’autres, tout statut de science objective, mais exprime la nécessité pour la connaissance historique de ne rien ignorer du champ idéologique dans lequel elle s’insère, afin de dégager l’apport conceptuel du discours historique. Le progrès vers l’objectivité du savoir historique suppose donc prioritairement l’explication des forces historiques et la critique des énoncés idéologiques qui exercent leur contrainte sur la production de l’œuvre d’historien. Or, les méthodes et les techniques auxquelles recourent les historiens favorisent l’emprise des déterminations idéologiques (malgré les grands progrès réalisés au cours de la phase positiviste du XIXe siècle). Il faut incriminer en premier lieu le faible degré de conceptualisation des instruments ordinaires de la langue historique des historiens idéalistes et positivistes (classe, état, politique, conflit, etc.), en sorte que chaque mot du vocabulaire devient le lieu d’une tension idéologique, voire directement sociale et politique: tous les historiens ressentent cela durement. En second lieu, l’objet de l’histoire à la fois bilan d’une pratique collective et effort de découverte des lois ou structures de cette pratique, s’accompagne de connotations affectives, sollicite des intérêts réels, qui introduisent en dernière instance un recours plus idéologique que scientifique. L’interprétation germanophile ou romaniste du monde antique finissant, la condamnation ou l’absolution de la colonisation ibérique en Amérique, l’histoire de la Révolution française, celle de l’esclavage et du «sudisme» aux États-Unis, l’histoire des révolutions socialistes ou de la décolonisation aujourd’hui illustrent abondamment cette proposition générale. Enfin, le récit historique est un genre ordinairement accessible et les pressions s’exercent, le plus souvent de manière subtile, pour orienter ou modifier la démarche de l’historien. Inversement, répercutée par les mass media ou les leaders , une véritable pédagogie des idéologies dominantes s’appuie sur le récit historique pour orienter les comportements collectifs (par exemple dans la diffusion du mythe de la démocratie américaine comme modèle de démocratie idéale). Le progrès de l’objectivité dans la science historique suppose une rupture avec les déterminations finalement idéologiques dans lesquelles s’engluent encore la plupart des historiens non marxistes.Histoire et matérialisme historiqueLa science n’est pas l’idéologie, mais il est des idéologies qui favorisent le progrès de la connaissance scientifique; ainsi du matérialisme au XVIIe et au XVIIIe siècle en Occident. Les marxistes considèrent que l’idéologie révolutionnaire du prolétariat remplit cette fonction de promouvoir le savoir objectif là où règnent encore les catégories idéologiques. Car, à la différence des idéologies progressistes préscientifiques, le marxisme est une conception scientifique du monde, fondée indissolublement sur l’ensemble des idées politiques et morales du prolétariat révolutionnaire et sur l’ensemble du savoir scientifique. C’est le sens de l’affirmation de Lénine, selon qui le marxisme est vrai non parce qu’il est la philosophie du prolétariat mais qu’il n’est cette philosophie que parce qu’il est vrai. Du point de vue du léninisme, le marxisme n’est donc pas une «doctrine scientifique», mais proprement une théorie, un ensemble organique de concepts fondé sur le matérialisme dialectique , qui est une méthode scientifique de connaissance des lois de la nature, de la société, des cultures, etc., et sur le matérialisme historique , théorie scientifique de l’histoire faite ou qui se fait, qui est lui-même connaissance théorique mais aussi mise en pratique, dans le socialisme scientifique, des lois générales de l’évolution des sociétés.Comme le rappelle Louis Althusser (1968), le matérialisme historique rompt avec l’idéalisme historique des philosophies de l’histoire – donc des idéologies non scientifiques – et instaure la scientificité de l’histoire. Cette thèse marxiste classique suggère que l’histoire n’a pu prétendre au statut de science qu’à la suite de l’introduction par Marx du «continent histoire» (L. Althusser) dans le champ de la connaissance objective. Rupture épistémologique essentielle, puisque le marxisme élabore un système de concepts là où ne règne que l’organisation de schèmes idéologiques, consciemment reconnus comme tels ou non. C’est ainsi que l’histoire peut se trouver promue, par le marxisme, au rang de science positive.Les historiens marxistes et l’histoireLes historiens devant le marxismeLes historiens marxistes constatent que le travail des historiens est de plus en plus directement affecté par la lutte des classes. Sous des formes particulières ou au travers de systèmes méthodologiques plus ou moins élaborés, les déterminations politiques des historiens pèsent aussi plus fortement aujourd’hui sur leur démarche théorique et le choix de leurs études. En Europe et dans le Tiers Monde – indépendamment des pays socialistes – , on assiste à une forte pénétration des positions du matérialisme historique dans le domaine de la recherche historique; cela est à mettre en corrélation avec les opinions politiques des historiens, plus proches aujourd’hui que naguère des travailleurs et de leurs organisations de classe. Parallèlement, les véhémentes critiques contre l’idéalisme formulées par les partis marxistes-léninistes depuis un demi-siècle ont contribué plus à favoriser l’avance du point de vue du matérialisme et de l’objectivité dans la pratique connaissante des historiens qu’à en freiner le cheminement, comme on le croit quelquefois; ce phénomène, qui se déroule sur le double plan des réalités sociales et de la réflexion théorique, renforce le courant de «matérialisme spontané des savants», qui progresse quand progresse la science (cf. Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme ).C’est pourquoi des historiens quelquefois conservateurs sur le plan politique sont conduits, souvent sans le vouloir, à reprendre à leur compte nombre de concepts ou d’analyses importés dans le champ de la réflexion historique par le marxisme. Les marxistes eux-mêmes savent que l’on ne doit pas superposer étroitement les racines gnoséologiques de l’idéalisme à ses racines économiques et sociales et au comportement politique des savants réactionnaires. Le marxisme reconnaît l’apport considérable des historiens non marxistes à l’ensemble de la connaissance historique. Inversement, l’influence du matérialisme historique doit aujourd’hui se rechercher dans le domaine tout entier de la recherche historique et à l’intérieur des débats ou des polémiques entre spécialistes. De ce point de vue, la nature des rapports comme celle des discussions intervenues lors des Congrès des sciences historiques de Paris (1950), de Rome (1955), de Stockholm (1960) et de Vienne (1965), ou encore des divers colloques internationaux (telles les conférences d’histoire économique de Munich en 1965, de Bloomington aux États-Unis en 1968, ou le colloque du C.N.R.S. sur l’abolition de la féodalité tenu la même année à Toulouse), ou nationaux (colloques d’histoire sociale à l’École normale supérieure de Saint-Cloud en 1965 et 1967) montrent la progression, d’année en année, de la problématique marxiste. En termes de stratégie, c’est l’idéalisme en histoire qui paraît aujourd’hui sur la défensive.Enfin, de grandes revues, comme les Annales , Économies , Sociétés , Civilisations ou bien La Pensée , éditées à Paris, Past and Present , à Oxford, Critica storica et Studi storici en Italie, sans compter les revues proprement marxistes ou publiées dans les pays socialistes, ont largement fait connaître les travaux des historiens marxistes. Elles ont facilité la pénétration croissante des concepts marxistes, au moins au niveau de l’écriture historique. On assiste ainsi, aujourd’hui, à une sorte de naturalisation du matérialisme historique, certes bien équivoque et souvent confuse, mais fort éloquente. Cela est aussi à mettre en rapport direct avec l’existence d’États socialistes marxistes et avec les succès du socialisme sur le tiers du globe.La fonction des historiens marxistesLes historiens qui adhèrent consciemment au marxisme-léninisme ont des obligations d’une autre ampleur. À eux s’impose le devoir théorique d’intégrer, par une réévaluation critique et minutieuse, tous les concepts nouveaux et démonstrations récentes de l’objectivité de la science en général et de la science historique en particulier. Sociologie ou étude des conjonctures, définition des classes sociales ou calcul de la croissance économique et détermination des indices quantitatifs, controverses épistémologiques sur la définition de l’objet de science, débats sur la culture et les idéologies, détermination du temps historique, rien ne peut être étranger aujourd’hui à une critique marxiste pertinente. Dans cette tâche, les historiens communistes travaillent en collaboration avec les partis ouvriers, considérés du point de vue léniniste comme des savants collectifs au fait des lois générales tendancielles de l’évolution des sociétés. Il s’ensuit que les historiens marxistes sont engagés dans une lutte théorique pour le matérialisme, qui prend appui sur la lutte politique conduite par les partis communistes contre la bourgeoisie dominante dans le système du capitalisme monopoliste d’État et contre l’impérialisme dans l’ensemble du monde. Les historiens marxistes-léninistes sont donc des historiens de parti, conscients des rapports entre la stratégie de lutte de la classe ouvrière et des forces révolutionnaires et leurs propres obligations théoriques et scientifiques. La compatibilité entre cette double obligation de l’historien marxiste réside dans le fait que le marxisme-léninisme est à la fois théorie vraie de la connaissance objective et pratique révolutionnaire savante.Pratique politique et vérité historiqueCette position s’est cependant avérée difficile à tenir. Pour beaucoup d’historiens, la période qui s’étend entre 1930-1934 et le XXe congrès du Parti communiste de l’U.R.S.S. (P.C.U.S.) en 1956 fut le temps d’une longue ascèse. En fait, le problème des rapports du politique à l’historique à l’intérieur même de la problématique marxiste a donné lieu à des cheminements difficiles, et l’ajustement s’impose nécessairement à chaque moment de l’histoire des luttes de classes comme de l’histoire du savoir.Au début du mouvement socialiste marxiste, l’exaltation par les historiens de parti des luttes ouvrières et, par récurrence, de celles des classes révolutionnaires antérieures, s’est révélée féconde pour former la conscience de classe des ouvriers. Cette histoire fut le premier patrimoine du prolétariat révolutionnaire. Mais d’avoir découvert la lutte des exploités, systématiquement ignorée par l’histoire traditionnelle, a conduit nombre d’historiens à se désintéresser un temps des autres secteurs de l’histoire globale qui furent abandonnés à l’activité tenace des historiens idéalistes. Pouvait-il en être autrement?De plus les historiens marxistes, surtout avant la révolution d’Octobre, n’ont pas échappé aux formes de pensée des historiens positivistes ou idéalistes qu’ils côtoyaient, y compris au sein des partis sociaux-démocrates. Chez des théoriciens comme G. V. Plekhanov ou K. Kautsky, la virtuosité dans le maniement des concepts marxistes cache mal une conception mécaniste de l’histoire, et Jean Jaurès, malgré sa grandiose Histoire socialiste de la Révolution française (1904) est souvent plus proche de l’idéalisme prémarxiste que du matérialisme historique. Quant à Eugène Tarlé, ses premières œuvres sont fortement marquées par le matérialisme mécaniste et l’empirisme dominant chez les grands historiens russes prérévolutionnaires.Enfin les erreurs théoriques qui ont accompagné le moment historique, qualifiées en U.R.S.S. de «culte de la personnalité de Staline», ont abouti à des formes de dégénérescence de la recherche scientifique en histoire comme dans certaines sciences de la nature ou de la société. L’histoire la plus récente, celle du mouvement ouvrier et communiste, celle de la révolution de 1917 et de ses suites, et d’une autre manière l’histoire de l’Orient et de l’Asie, en ont beaucoup souffert. C’est ainsi que fut interrompu en 1930 le débat sur le «mode de production asiatique», sous prétexte de son inadéquation avec le schéma des «cinq stades historiques» imposé par Staline comme un dogme. De même la rédaction de l’histoire du Parti communiste (bolchevique) fut contrôlée par Staline en fonction des obligations immédiates du pouvoir soviétique (planification, centralisation, lutte contre les factions dans le parti bolchevique, exaltation de la patrie russe menacée par l’hitlérisme). On en vint à écrire l’histoire, même la plus ancienne, en fonction des sollicitations les plus immédiates de la lutte politique conduite par les communistes. On oublia ainsi le respect dû aux méthodes et aux techniques scrupuleuses du métier d’historien: respect du document dans son entier, exigence d’information multipliée et critique de la masse documentaire. Les historiens communistes en Union soviétique, dans les démocraties populaires, en Chine populaire, et ceux qui, dans les pays capitalistes, adhéraient par libre choix aux partis communistes ont profondément subi les effets de cette déviation. Certains se sont tus, d’autres se sont soumis sans bien connaître le sens de cette soumission; d’autres ont vu dans l’acceptation politique de ces erreurs un geste de discipline révolutionnaire, se réservant de présenter leur critique ultérieurement; il en est aussi d’opportunistes, adeptes inattendus du sociologisme wébérien, qui en vinrent à imaginer une histoire du passé écrite sans médiation par référence exclusive au présent, comme font d’ailleurs des milliers d’historiens bourgeois. Cette position proche de l’empirisme s’écarte du léninisme, lequel, loin d’être un dogme, apprend au contraire à ne pas faire sortir le concret des choses, des «lois» normatives d’une théorie abstraite, mais à se servir de la théorie pour connaître le réel.Pédagogie du marxisme et histoireMalgré ces vicissitudes, des découvertes historiques importantes ont été produites; l’histoire de Byzance, celle des «civilisations» et peuples des steppes ou du Caucase, l’étude du mode de production féodal, l’histoire comparée des révolutions bourgeoises, l’histoire des luttes ouvrières et paysannes ou de l’impérialisme (à la suite de l’ouvrage fondamental de Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme , 1916) ont largement avancé: la thèse de Boris Porchnev, pourtant établie selon des procédés traditionnels, a renouvelé l’histoire du XVIIe siècle, stimulé les études sur la nature de l’État absolutiste et posé la question des structures du «féodalisme»; l’œuvre de Porchnev est une ouverture sur les problèmes de l’histoire générale et comparée.En outre, dans cette période, en Occident, les éditions en langues étrangères à Moscou, les publications de l’Internationale communiste, puis, après sa dissolution, celles des divers organismes communistes internationaux, les revues, journaux et maisons d’édition des partis communistes nationaux ont implanté une véritable pédagogie de masse du marxisme, dont sont redevables la plupart des historiens marxistes de la génération actuelle, et plus généralement tous les historiens sensibles au type de problèmes soulevés par les marxistes. Malgré les schématisations abusives, la période de 1930 à 1960 est une étape décisive dans la diffusion des concepts du matérialisme historique: forces productives et rapports de production, base économique et superstructures, luttes de classes et conscience de classe, révolution et stades historiques d’évolution, «nature» et histoire, structure et conjoncture, etc. En sorte que l’omniprésence aujourd’hui de la problématique marxiste dans le champ des sciences historiques et sociales explique qu’un historien et un économiste comme W. Rostow (1959) se soit situé sur le terrain même de la théorie marxiste des stades historiques pour tenter de réfuter le matérialisme historique et donner une assise crédible à son «manifeste non communiste». Mais il s’est placé en réalité sur le terrain toujours difficile de la défensive.Le métier des historiens marxistesDepuis 1950 environ (et 1920 en U.R.S.S.), la gnoséologie du marxisme a progressivement cédé le pas à la recherche scientifique, selon les principes du matérialisme dialectique. L’historien marxiste, en tant qu’il adhère au marxisme-léninisme, est aidé dans sa tâche de chercheur par sa participation aux luttes révolutionnaires des partis léninistes.On doit d’ailleurs déceler une similitude réelle entre la démarche de l’historien et celle du dirigeant léniniste: même attention à étudier les structures fondamentales et leur forme d’existence, le moment atteint par le développement objectif des forces historiques et le niveau de conscience des hommes – ou «moment subjectif» –, même intérêt à découvrir l’interaction entre les propositions de l’élite et l’initiative créatrice des masses, même sens de la durée d’une formation historique ou politique; même aptitude enfin à décanter le possible historique de l’imaginaire poétique. Si l’on prend par exemple la technique des sondages d’opinion, on peut penser avec J. Strayer que l’«indication verbale» n’est pas un «indicateur réel de l’opinion» et qu’«une opinion qui n’a pas une traduction dans un acte ou qui ne se change pas en action n’a pas grande importance». Cette critique historique et matérialiste du sondage d’opinion, même le plus perfectionné, recoupe celle que développent les partis communistes. Ils se plaisent en effet à constater qu’une opinion statistiquement équivalente à une autre peut ne pas avoir la même efficacité historique. Ils pensent aussi que l’on ne peut faire passer des proclamations d’intentions, quelquefois sollicitées par la question, en probabilité d’action historique.L’historien, et a fortiori l’historien marxiste, et le politique marxiste ont en commun qu’ils s’interrogent sur la pratique des hommes, l’un pour en déterminer la structure et les lois, l’autre pour prévoir et organiser la transformation révolutionnaire du monde.La démarche de l’historien marxiste s’explicite aisément sur le plan de la théorie et de la méthode. Il construit l’objet historique – lequel n’est pas l’Histoire, ni l’Homme, ces abstractions que la démarche empiriste situe au premier plan. Il se fonde sur les instruments conceptuels que lui propose le matérialisme historique: les concepts de mode de production, de classe, d’État, d’idéologie, etc. Il définit le champ de son étude, en renvoyant systématiquement à l’ensemble du déjà connu ce réel organisé en objet de connaissance. Le matérialisme historique permet à l’historien de construire un savoir historique qui donne à l’histoire le statut d’une science positive. De ce point de vue, le marxisme apparaît comme l’accomplissement, sur le plan de la théorie, des grands progrès formulés par la critique réaliste et positiviste du XIXe siècle dans la voie de l’objectivité de la connaissance.Les historiens marxistes fondent toutes leurs recherches sur le matérialisme historique. Or, en rompant avec les philosophies spéculatives de l’histoire, le marxisme peut assimiler tout ce que la recherche historique a introduit de rationnel dans la connaissance, en particulier tout ce que l’historiographie contemporaine propose de neuf dans le domaine de l’histoire sérielle ou quantitative – car il est vrai que cette histoire très moderne marque à sa façon, mais dans l’horizon dégagé par Marx et Lénine, la promotion de l’histoire des masses.
Encyclopédie Universelle. 2012.